Qu’une nouvelle décennie débute cette année ou en 2021, une chose est certaine : 2020 sera une année charnière pour l’ensemble de l’industrie automobile. Transition écologique, bouleversements technologiques, incertitudes sociales, les interrogations ne manquent pas. Qu’en sera-t-il pour la distribution automobile, sous le prisme du digital ? Point de boule de cristal, mais trois intervenants qui ont accepté de donner leurs avis sur la situation actuelle et sa possible évolution.
Sus à l’automobile ?
Avant de leur donner la parole, je vous propose un petit jeu. Cherchez le texte de la loi d’orientation des mobilités (dite LOM) sur la Toile – non, je ne vous imposerai pas d’en lire les 189 articles – paru au Journal Officiel le 26 décembre 2019. Faîtes juste une recherche du mot automobile et comptez les occurrences. A priori, vous devriez faire le même constat que votre serviteur. Aurait-on, au nom d’encouragements aux mobilités douces, rayer du vocabulaire législatif un mot qui depuis plus d’un siècle est synonyme d’innovation technologique, de développement économique, voire, d’ascenseur social ?
La LOM institue, entre autres, un arsenal règlementaire qui institutionnalise les nouvelles mobilités, du vélo (pas si nouveau !) aux VTC en passant par les trottinettes électriques, jugées à tort ou à raison trop envahissantes. Elle tente également d’encadrer l’éclosion d’un vrai réseau d’infrastructures de recharge pour véhicules électriques. Mais sur des questions que tous les professionnels de l’automobile estiment cruciales, comme la perspective de la fin des motorisations thermiques, le texte ne mentionne qu’un hypothétique décret pour une non moins hypothétique étude d’impact…
L’objet de ce coup de gueule n’est pas de dénigrer les mobilités douces et de se transformer en défenseur d’un secteur qui emploie un dixième des actifs français. Celles et ceux qui liront ces lignes et me connaissent en souriraient. Je regrette simplement que l’automobile ne soit pas considérée comme une solution, notamment dans les territoires dénués de transports publics. Et que l’auto-mobilité soit considérée par le pouvoir législatif comme une composante essentielle de la vie quotidienne des Français.
Voilà, à mon humble niveau, comment j’ai vu 2019 s’achever, la parole est maintenant aux professionnels de l’auto !
« L’expert de demain sera digital »
L’affirmation est du Président de l’Alliance nationale des Experts en automobile (ANEA), François Mondello. Elle s’appuie sur le constat que le client final attend une expérience différente, notamment dans le parcours client, qui dans tous les domaines devient digital. Il observe toutefois que les experts en automobile ont fait preuve d’une grande agilité depuis les cinq dernières années, en contribuant au développement d’applications métiers totalement numériques, dont l’expertise à distance (EAD) qui a permis de connecter les assurés, voire de leur permettre « d’être acteur de leur sinistre ». La digitalisation du métier d’expert en automobile est donc irréversible, ce qui fait dire à François Mondello que « l’expert de demain sera digital, il n’a pas le choix ».
Sur ce plan, les sujets majeurs de la profession sont, selon lui, l’intelligence artificielle (IA), les véhicules connectés et l’électrification des moteurs. Des sujets qui engendrent des problématiques de compétences. Le président de l’ANEA déclare ainsi : « L’adaptabilité de nos experts à ces nouveaux véhicules et usages passent par la formation, aussi bien initiale que continue. »
Quant à l’IA, elle est déjà une réalité par le biais de récentes solutions développées par des sociétés comme WeProov ou Tractable. Elles ont développé des algorithmes « intelligents », qui permettent d’automatiser des actions telles que le chiffrage. Mais François Mondello prévient : « On demande à ces algorithmes d’analyser des millions de photos et de leur faire correspondre un chiffrage, lui-même issu de millions de rapports d’expertise ; mais notre rôle ne se résume pas au chiffrage, nous avons un rôle de prévention et de sécurité routière. »
Occulter l’évaluation des risques, privilégier la rapidité de l’IA à la compétence technique de l’expert en automobile, cela reviendrait à déléguer à une technologie l’appréhension de situations complexes, sans résultats probants compte-tenu des performances actuelles de cette technologie. Des pneus lisses, une ceinture de sécurité mordillée par le toutou de la famille, l’IA ne saurait pas encore aujourd’hui repérer ce genre de dangers potentiels. « Chaque expertise est singulière, chaque dommage ou choc est différent, d’où des méthodologies de réparation différentes », estime François Mondello, qui en conclut que « l’expert est encore aujourd’hui indispensable ».
Ecoutez le président de l’ANEA dans un passionnant échange où il évoque d’autres perspectives pour les experts en automobile, notamment en termes de cyber sécurité et de certifications des données échangées, dont les volumes explosent et qui seront sujettes à vérification.
La data automobile, un sujet hautement stratégique
Déjà en 2019, Autoplay PRO avait souligné l’importance que revêtait la donnée automobile, notamment dans les numéros 4 et 7 de votre eMAG préféré. L’entretien que m’a accordé Mathieu Seguran, délégué général de la FEDA, démontre, s’il le fallait encore, que les enjeux sont plus cruciaux que jamais en la matière.
Avec ses collègues européens réunis au sein de la FIGIEFA, le principal sujet de travail et de lobbying de la FEDA est en effet l’accès à toutes les données que communiquent de façon exponentielle les véhicules d’aujourd’hui, le véhicule dit étendu demain. « Dans ce contexte, notre but est que les véhicules transmettent aussi bien aux constructeurs qu’aux professionnels de l’après-vente indépendante, distributeurs comme réparateurs, l’intégralité de ces données et non pas 20%, comme semblent le souhaiter les constructeurs, sous couvert d’arguments un peu fallacieux de sécurité », déclare Mathieu Seguran. A l’écoute de son interview, à cliquer plus loin, on pourrait même dire que véhément tient de l’euphémisme…
Outre la guerre commerciale entre OEMs et aftermarket indépendant, Mathieu Seguran identifie deux autres sujets importants et liés. Le premier est presque un serpent de mer de l’APV, la libéralisation des pièces captives. Elle a failli passer dans le cadre de la LOM évoquée plus haut, mais a été retoquée in extremis par le Conseil constitutionnel, jugeant que ce sujet n’avait pas sa place dans le texte de la LOM… Mathieu Seguran le regrette bien sûr, mais reste confiant : « Tout n’est pas à refaire, si l’on s’en tient aux derniers échanges que nous avons eus avec le Gouvernement qui est déterminé à faire passer cette mesure dans un nouveau réceptacle législatif, qui reste à définir. »
Autre point que surveille la FEDA et qui relève aussi de la libre concurrence, la distribution sélective. Selon Mathieu Seguran, un nombre croissant de constructeurs la pratiquerait, en choisissant unilatéralement quel réseau « sera autorisé à vendre telle ou telle pièce et en interdire la commercialisation par d’autres revendeurs, bien souvent de l’aftermarket indépendant, avec menaces de procès ». Pour la FEDA, il y a une rupture de concurrence manifeste et « inadmissible dans un marché censé être totalement ouvert ».
Existe-t-il tout de même des perspectives positives en ce début d’année quand on est membre de la FEDA ? Sans doute une écoute nouvelle et apparemment sincère des pouvoirs publics, tant au niveau hexagonal qu’européen. « Nous avons le sentiment que la distribution automobile est identifiée et entendue par les pouvoirs publics, ce qui n’a pas toujours été le cas auparavant », observe Mathieu Seguran. Qui précise sa pensée : « Nous n’avons pas été sanctionnés sur le fond de la mesure de libéralisation des pièces captives, elle finira par passer mais cela dépend du temps législatif. Il y a 30 ans, personne n’y croyait. Aujourd’hui, nous sommes entendus sur ce point. De même que la Commission européenne se rend bien compte que l’accès limité aux données véhicule représente bien une rupture de concurrence intolérable. Nous gardons espoir sur la finalité de nos combats respectifs. »
Un Grand Prix très attendu pour la prolifique autotech
Le septième eMAG Autoplay PRO avait réalisé une incursion remarquée dans le monde de l’autotech et de ses start-up. Pour en dresser un autre portrait, j’ai donné la parole à un fin connaisseur de cet écosystème en la personne de Richard de Cabrol, directeur du Grand Prix ACF AutoTech, powered by ESSEC Automobile Club (GPACF), dont la troisième finale se tiendra le 2 avril 2020.
Quelles sont les tendances qui guident et motivent un vivier français estimé à plus de 300 jeunes pousses innovantes pour des applications automobiles ? Richard de Cabrol estime que de façon générale, « les concepts et business models étaient en 2019 relativement conservateurs, les start-up cherchaient à adresser un marché existant et avoir du coup une base de revenus le plus rapidement possible, sans rêveries ».
Cela se concrétise totalement dans les solutions pour l’organisation à bord des véhicules dont l’autonomie est de 2 et 3 (le niveau 5 étant l’autonomie totale du véhicule, ndlr). Ces équipements développés par les start-up montrent effectivement leur réalisme économique.
Par ailleurs, l’évolution de la consommation de l’objet automobile, voire de l’auto-mobilité, est la raison d’être de nombreux dossiers de candidatures au GPACF 2020. « Cela déborde d’idées nouvelles dans la location, pour la rendre plus abordable et accessible, explique Richard de Cabrol, c’est d’ailleurs le défi des start-up en autotech, de rendre l’auto-mobilité plus accessible et au plus grand nombre, par le VO et par la location. »
L’autotech ne délaisse pas les professionnels de la distribution automobile, à travers des innovations marketing, par exemple pour mieux commercialiser les pièces détachées, optimiser les ventes de véhicules grâce à la logistique et au transport automobiles.
Le directeur du GPACF regrette toutefois que le volet innovation technologique ne concerne, à ce jour, que le véhicule électrifié à batteries, la pile à combustible à hydrogène semblerait ne pas encore avoir l’attention des jeunes pousses françaises.
Qu’attendre de cette 3ème édition du GPACF ? « Les dotations ont quasiment quadruplé par rapport au premier Grand Prix remporté par Scortex », avance Richard de Cabrol, expliquant ces nouveaux moyens par l’arrivée dans les partenaires premium de Plastic Omnium, aux côtés de Faurecia, Fidal, Groupe Renault et AXA. Un accent particulier a été mis sur l’exportation à l’international, « une structure partenariale d’accompagnements administratif et business » a été mise en place à cette fin.
De concours indépendant organisé par un groupement d’écoles et l’Automobile Club de France, « le Grand Prix ACF AutoTech devient petit à petit un concours de la filière automobile », explique en audio son directeur Richard de Cabrol, ci-dessous.
Toute l’équipe se joint à moi et à Laurent Cohen, Président d’Autoplay PRO, pour vous souhaiter une excellente année sur les plans personnel et professionnel.
Nous profitons également de ces vœux pour remercier les milliers de lecteurs et d’auditeurs qui ont suivi Autoplay PRO en 2019. Nul ne doute que 2020 sera au moins aussi riche en débats et innovations, que nous vous relayerons avec rigueur et enthousiasme dans nos eMAG et nos podcasts audios.
Ali Hammami