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« No parking, no business ? » Les pros du VO C2C en question

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L’affirmation no parking, no business est à mettre au compte de Bernardo Trujillo, un colombien qui théorisa les besoins de la grande distribution au cours des années 50. Avec l’émergence de nouveaux concepts physiques et la démocratisation des outils digitaux, l’intermédiation des transactions VO entre particuliers s’est professionnalisée.

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Près du quartier Batignolles à Paris, une ancienne pizzeria est devenue un simple laboratoire de cuisine. Passant souvent devant, la devanture opacifiée m’a longtemps intrigué, jusqu’à ce que le nom de l’enseigne soit affiché : Smart Bowls. Un simple autocollant précise l’activité du lieu : livraison à domicile de plats diététiques (les amateurs de Yam Food reconnaîtront le type de plats composés). Le lieu n’a pas de caisse et n’accueille que des livreurs en vélo et scooters aux heures de repas. Toutes les commandes sont traitées via le site Internet et la marque ne communique que sur les réseaux sociaux.

A l’instar de la restauration, le commerce de véhicules d’occasion s’est peu à peu affranchi du diptyque parking-showroom, du moins à l’adresse du marché des particuliers (C2C). A d’abord émergé le concept d’agence automobilière, dont Christophe Winkelmuller revendique la paternité. On peut lui associer la déclinaison en réseau franchisés de Via Automobile, créé en 2010 par Laurent Cohen. L’accélération du e-commerce a vu se créer des plateformes totalement digitales : Carizy.com, Carventura.com et Kyump.com.

La phygitale attitude

A l’origine, le concept d’agence automobilière a tout à voir avec son pendant immobilier. Un particulier vient sur ce lieu physique pour donner mandat de vente ou d’achat à un agent, généralement sans que ce dernier n’achète le véhicule. Dans le cas d’un dépôt-vente (virtuel ou physique), il prend des photos, inspecte la voiture et discute du prix qui sera affiché. Il m’est confirmé que seuls les anciens de la distribution automobile classique ne savent pas faire sans parking et/ou showroom d’exposition. « Ils ont besoin de leur zone de confort pour vendre, explique C. Winkelmuller, mais dans l’absolu, l’agence ne sert qu’à enregistrer la voiture et Internet à la vendre. »

Une approche que partage Benjamin Appéré, qui a racheté l’enseigne Via Automobile entre 2017 et 2018 : « Nous croyons dur comme fer aux forces d’Internet et du commerce de proximité réunis. » Il entend même déployer 200 commerciaux mobiles, qui, armés de leurs tablettes tactiles offriront les mêmes prestations qu’en agence. Ces postes sont à pourvoir sur l’ensemble du territoire, sous les statuts d’indépendants ou de salariés.

Stocker physiquement les voitures est un besoin marginal pour les agences

Chez Ewigo, autre franchise d’agences automobilières, on considère l’absence de parking comme un accélérateur d’affaires. Florent Barboteau m’explique qu’il peut arriver qu’un client souhaite laisser son véhicule à vendre, quand il part en vacances ou bien qu’il s’agit d’une troisième voiture qu’il n’a plus la place de garer dans le garage personnel. Mais au-delà de ces considérations de parking personnel, le fondateur du réseau Ewigo est très clair sur la notion de parking : « Notre business model implique de ne pas avoir de stockage physique ».

Les « CCK » ou le VO C2C full digital

Chercher les différences entre Carizy, Carventura et Kyump (CCK) revient un peu à jouer à « où est Charlie ? ». Les trois start-up s’annoncent comme du service clé en main pour acheter ou vendre des véhicules entre particuliers, en s’appuyant sur leurs plateformes digitales et des inspecteurs qui auscultent la voiture à vendre. Elles ont également pour point commun le constat que trois millions de transactions VO se font chaque année en France entre particuliers.

Lancé en 2015, Carizy a désormais Renault pour unique actionnaire. Son fondateur, Mathias Hioco, considère que le principal enjeu est la notoriété et l’acquisition digitale. « Notre taux de transformation ne cesse de s’améliorer, indique-t-il, nous avions en novembre dernier plus de 1 000 voitures en ligne contre 550 aujourd’hui. Nous sommes victimes de notre succès. »

Le storytelling de Frédéric Lecroart est aussi très abouti. « Je me présente comme un mix d’Amazon et de Stéphane Plaza », me dit le cofondateur de Carventura, qui est dans l’escarcelle de Groupe PSA. La référence au people de l’immobilier est due aux car seekers, les chasseurs de voiture qui travaillent dans l’ombre chez Carventura. Pour son cofondateur, « la probabilité de ne pas avoir la voiture d’un acheteur potentiel est énorme ».

La force du tout digital  ? Les coûts d’exploitation

Reste Kyump, qui va d’ici la fin juillet changer de nom pour devenir CapCar. Son positionnement diffère des deux autres start-up. « Nous avons une culture très poussée de l’internalisation, explique Louis-Gabriel de Causans, par exemple sur les outils de pricing et d’acquisition digitale. » Le cofondateur de Kyump/CapCar considère que son entreprise a une culture automobile très forte, « autant sur le produit que dans le service. »

Quant à savoir laquelle des trois jeunes pousses est leader sur leur marché, les paris sont ouverts. Si Carizy et Carventura peuvent déjà s’enorgueillir d’une couverture nationale, Monsieur de Causans estime que sa société pèse déjà 4 fois plus que ses deux concurrents, malgré une présence actuellement réduite à l’Île-de-France, Lyon, Bordeaux, Nantes, Lille et Rouen. Une prochaine levée de fonds devrait permettre à CapCar de s’étendre à l’ensemble de l’Hexagone.

« Ce sont des copieurs sans agence »

Christophe Winkelmuller, fondateur de L’Agence Automobilière

L’affirmation du volubile alsacien tombe comme une sentence. Outre un embryon d’accusation, il s’interroge sur la « sécurisation de la transaction via ces sites » et y oppose « la transparence et la sincérité des membres du réseau L’Agence Automobilière ». Mathias Hioco préfère rappeler qu’en 2015, il n’existait pas encore de réponse digitale aux besoins des particuliers. Louis-Gabriel de Causans accepte l’idée de copie, mais uniquement au sens digital du terme, en y ajoutant des inspecteurs (mécaniciens et experts automobile diplômés d’État), un système de pricing propre et des taux de conversion élevés. C’est de bonne guerre…

Des problématiques similaires au B2C

A l’exception notable de Kyump, tous mes interlocuteurs ont défini leurs activités comme procédant uniquement des services. Ou ce que chez L’Agence Automobilière on aime appeler le minimum marketing requis, pour éviter le terme d’ubérisation. Certes, ne pas avoir à financer (et entretenir) des cathédrales, à payer un personnel qui ne serait productif que le samedi sur six jours ouvrés, à porter le financement des reprises, tout cela porte à croire que les acteurs phygitaux et digitaux du VO C2C ont décroché la timbale.

Or, ils partagent avec la distribution VO B2C certains points de frictions non négligeables. Le premier d’entre eux est le pricing. Dans la mesure où le particulier fixe le prix auquel il souhaite vendre son véhicule, tout le positionnement de l’enseigne physique comme du site Internet en dépend. Dans le cas d’Ewigo, on a tranché : seuls des VO récents et peu kilométrés sont éligibles. « Nous nous payons le luxe de refuser des voitures », précise Florent Barboteau.

Autre conséquence non négligeable, les rotations des « stocks », ou plutôt des offres en ligne. D’après son fondateur, L’Agence Automobilière en écoule la moitié en 11 jours, mais l’autre moitié ne partirait qu’au bout de 90 jours ! Constat semblable chez Via Automobile, où les VO de plus de 15 000 euros peuvent atteindre une rotation de 60 jours. Pour les CCK, la rotation moyenne qui m’a été annoncée oscillerait autour de trois semaines.

Plus d’offre induit plus de coûts et non des moindres

Les coûts d’acquisition digitale sont surveillés comme le lait sur le feu par les trois start-up de l’intermédiation entre particuliers. Augmenter l’offre disponible en ligne a mathématiquement un intérêt en termes de chiffre d’affaires. Le cofondateur de Kyump lui voit un autre avantage. Si le catalogue est décuplé, la probabilité que l’acheteur trouve « voiture à son pied » passerait de 5 % actuellement, à 50 %. Dans ce cas, si certaines commandes validées en 24 heures n’engagent presque aucun coût d’acquisition, Louis-Gabriel de Causans prévient qu’en revanche, les besoins en recrutement seraient aussi plus importants, puisque nous devrions localement répondre à plus de demandes.

Du côté des agences, la finalité est la même. Christophe Winkelmuller avance que la publication sur le site LeBonCoin.fr fait de L’Agence Automobilière le 12ème client professionnel du site de petites annonces, mais constitue aussi le premier poste de coûts du réseau ! Dans le cas de Via Automobile, proposer plus de véhicules, moyennant une zone de parking voire un showroom type « concession » comme c’est le cas à Lille, offre l’avantage d’attirer une clientèle beaucoup plus « premium », car rassurée par le fait de déposer sa berline allemande à trois ou quatre dizaines de milliers d’euros dans un lieu protégé et sécurisé.

Un stock potentiel de 3 millions de VO ?

« Le marché C2C n’existe pas, il n’y a que trois millions de déçus », clame Frédéric Lecroart. Et de rappeler le slogan de la campagne média de l’automne 2018 qui résume son idée, Vous perdez suffisamment de temps en voiture chaque jour. N’en perdez plus en la vendant ! Et d’ajouter : « Les deux-tiers des ventes se font avec un acheteur qui réside hors de la zone géographique du vendeur, cela nous différencie totalement du Bon Coin, qui est beaucoup plus local de fait. » Cette répartition géographique concerne aussi –a minima- L’Agence Automobilière et Ewigo.

Réagissant à l’affirmation du CEO de Carventura, Benjamin Appéré est aussi péremptoire que F. Lecroart provocateur. « C’est faux. Si 80 % des projets de vente ou d’achat VO des particuliers passent par LeBonCoin, c’est bien qu’il existe un marché C2C, estime le boss de Via Automobile. Pour une raison que je ne m’explique pas, ce marché a été complètement délaissé pendant près de 15 ans. Et maintenant les sites de petites annonces VO pour particuliers génèrent des millions d’euros. A nous d’apporter une réponse professionnelle, garantie et sécurisante aux besoins du consommateur. » Quant à ce dernier, une chose est sûre : il est la cible de tous mes interlocuteurs.

Quelques chiffres sur les agences automobilières :
Le réseau L’Agence Automobilière compte aujourd’hui 84 agences en France pour une offre en ligne de 3 500 VO
Ewigo compte 76 agences et annonce un volume de 6 000 ventes annuelles
Via Automobile totalise 5 000 véhicules en ligne, dont 1 200 en mandat. Son objectif est d’atteindre 50 agences début 2020.

Parking dématérialisé, relation humanisée

Tant les réseaux d’agence que les pure players digitaux insistent sur l’importance de la relation entre le client particulier et, un conseiller pour les premiers, un « inspecteur » pour les seconds, lesquels garantiront dans les deux cas l’application des valeurs de marque et du cahier des charges de chaque enseigne.

Pour autant, il apparaît de nouvelles fonctionnalités sur Internet, qui vont encore un peu plus loin sur la notion de service adressé aux particuliers. L’exemple le plus éloquent est Wamcar.com, le site de rencontre automobile. Xavier Pousset, l’un des créateurs de cette plateforme lancée en août 2018 n’a que peu goûté ma comparaison avec Tinder. Pourtant, l’idée est bien de mettre en relation tout professionnel du VO avec des particuliers qui ne veulent pas s’occuper de la vente ou de l’achat de leur voiture. Et l’on parle bien de conseillers VO qui œuvrent chez des marchands, des groupes de distribution, des mandataires… Voire des agences automobilières, comme Ewigo, partenaire depuis ce printemps 2019 !

« Un seul profil peut toucher jusqu’à 100 particuliers, notamment grâce à notre système de matching », insiste le cofondateur de Wamcar. Si le professionnel opte pour la solution payante (99 euros mensuel), il a le droit de pousser les annonces de sa structure. . « Ce sont surtout les profils qui sont consultés, précise X. Pousset, et 10 % du trafic débouche sur un appel téléphonique. »

Son parcours est symptomatique de l’évolution observée dans le commerce VO moderne. Après des études de biologie moléculaire, il a connu diverses expériences de vente. C’est la dernière, dans un magasin d’instruments de musique, qu’il lui a donné l’idée de Wamcar : « Les clients venaient par affinité avec tel ou tel vendeur, celui qui a des dreadlocks, le métaleux… »

Ne serait-ce pas la preuve que tous les chemins mènent au VO, C2C digital comme physique, à condition d’intégrer le mantra du 21ème siècle : « No services, no business ! »

Ali Hammami

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