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Vente de VO en ligne : bluff ou réalité ?

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Depuis leurs créations en 2013, Carvana et Vroom ont levé selon le site Crunchbase plus de 1,4 milliards de dollars. Leur modèle de vente en ligne totalement digitale, satisfait ou remboursé avec livraison à domicile a fait des émules en France. Est-ce que « vente en ligne » est synonyme de parcours client 100% digital ? Arriverons-nous un jour au stade où une voiture d’occasion s’achètera comme un DVD sur Amazon ?

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Comme tout le monde, je reçois dans mon courrier électronique des offres commerciales pour d’innombrables produits. Pour un cadeau d’anniversaire, j’ai récemment craqué pour un haut-parleur bluetooth waterproof. Mais le délai de livraison pourrait être de 45 jours…

Cette anecdote n’a pas pour but de me plaindre, mais d’introduire une étude parue en juin 2014. Réalisée pour AramisAuto(1), elle présentait des chiffres intéressants sur les freins à l’achat d’un véhicule en ligne, neuf comme d’occasion. A l’époque, le contact physique avec un produit, que ce soit un vêtement ou un instrument de physique devenait un totem déchu. L’étude de TNS-Sofres, aujourd’hui Kantar, révèlait que deux tiers des français ne se disaient pas prêts à acheter leur voiture sur Internet. Parmi eux, 52 % souhaitaient voir le véhicule avant toute commande, 23 % préféraient le contact direct avec un vendeur en concession et 10 % doutaient de la sécurité des transactions sur Internet.

Cinq ans plus tard, ces freins existent-ils encore ?

« Ceux qui répondent par l’affirmative sont au minimum très optimistes », répond Thibaud Carissimo à ma question. Pour le directeur de Briocar et du site www.gobriocar.com, le modèle 100 % digital de ventes de véhicules d’occasion (VO) n’adresse qu’une petite partie du marché. En 2019, on ne parlerait pas plus que d’une niche de marché.

Pourtant, d’autres groupes de distribution se sont lancés dans la « vente en ligne » de VO, à l’image d’Emil Frey France (ex-PGA) avec Autosphère, le groupe Jean Rouyer avec Autobonplan et il y a presque deux ans, le groupe Parot lançait www.zanzicar.fr.

Même question sur les freins identifiés en 2014 à Marion Parot. « Après des centaines de commandes, pour une partie de nos clients la réponse serait plutôt non », sourit la directrice générale de Zanzicar. « Bien sûr, quelques clients émettent des réserves, mais à l’instar de tous les sites VO professionnels, nous sommes là pour les réassurer », poursuit-elle.

Une niche de marché et un comportement d’achat minoritaire

Ces deux points de vue m’incitent à solliciter l’un des fondateurs du pionnier en France en matière de « vente online » de voitures, AramisAuto.com. Dix-huit ans après sa création, la société créée par Nicolas Chartier et Guillaume Paoli affiche 40 000 véhicules vendus à l’année, pour un chiffre d’affaires de 700 millions d’euros généré en France, en Belgique et en Espagne. « Un parcours d’achat intégralement en ligne, bien que possible chez nous, reste très, très minoritaire », me dit Guillaume Paoli. Parlerait-on d’un sujet que tout le monde évoque mais qui ne serait encore qu’une chimère ?

Qu’appelez-vous « vente en ligne » ?

J’en viens à cette interrogation. Je demande à mes interlocuteurs de préciser si leurs sites respectifs opèrent effectivement des ventes de VO sur Internet avec des parcours client 100 % digitaux. La réponse de Thibaud Carissimo pour Briocar est nette et sans bavure : « Nous sommes les premiers en France à le faire, comme Carvana, Vroom ou Ali Baba Cars. » Mais Marion Parot m’explique que 100 % des clients de Zanzicar ne font pas d’achat sans avoir un téléconseiller en ligne. En ligne comment ? « Au téléphone, la vente en ligne ne s’affranchit pas pour nous de la relation humaine. » Quid de la full digital experience ? L’humain reste un point essentiel de la relation client définie par Zanzicar, ne serait-ce que pour convenir de la date de livraison, conseiller le client sur la meilleure formule de financement, etc.

Quelle différence avec une concession « traditionnelle » ?

Récapitulons. AramisAuto compte aujourd’hui 45 agences, dont 30 en France. Zanzicar s’appuie sur trois sites ouverts il y a peu (Orly, Orléans et Clermont-Ferrand), une quinzaine de centres Norauto partenaires et quelques concessions du groupe Parot.

A priori, seul Briocar, dans mon échantillon, s’engage à ne livrer qu’à domicile.

Qu’en est-il alors du sourcing, des frais de remise en état VO, voire de l’ensemble de l’activité de l’enseigne e-commerce, comparés à ceux d’une concession classique ? Thibaud Carissimo défend l’absence de toute « porosité » entre Briocar et le reste des activités du groupe Bodemer, tout en concédant quelques synergies avec des fournisseurs et des prestataires. C’est un peu plus compliqué chez Zanzicar. L’enseigne se fournit essentiellement chez VO3000 qui appartient au groupe Parot –, surtout pour les modèles de marques françaises. Une partie de l’approvisionnement vient des concessions Parot. On se doute que dans ce cas, les marques distribuées par le groupe sont concernées.

LOA et bonne expérience d’achat

Marion Parot avance que ce sont les solutions de financement proposées qui pousse les clients à acheter en ligne, notamment la location avec option d’achat. Elle représenterait 90 % des financements contractés sur Zanzicar. Guillaume Paoli explique pour sa part l’actuelle croissance profitable d’AramisAuto grâce aux véhicules reconditionnés en interne, qui permet d’apporter aux clients une bonne expérience d’achat de VO, par opposition à une expérience de deuxième classe qu’offre la distribution traditionnelle.

Un vrai centre de profit ?

« Gare au miroir aux alouettes », prévient Thibaud Carissimo ! Il y a une image d’Épinal qui veut qu’avec Internet, tout serait moins cher. Mais en fait, la Toile induit des coûts dantesques qu’il n’y a pas en concession, en particulier sur les frais de transports, que les clients ne veulent pas payer. Même pour 30 kilomètres, une livraison nous coûte plus cher. Et les transporteurs d’automobiles sont très sollicités, nous faisons face à des délais de livraison qui vont du simple au triple, sans aucune raison rationnelle. Au mieux, cela impacte directement ta marge à cause du geste commercial proposé au client insatisfait, au pire, tu perds la vente.

Le client fait ce qu’il veut pendant 14 jours

De plus, la Loi Hamon donne au client 14 jours pour se rétracter ; pendant tout ce temps, c’est lui qui a la main ! Sans parler des frais de carte grise et surtout du nombre incroyable de demandes de financement qui s’avèrent frauduleuses, tout cela, tu le payes à un moment ou à un autre. C’est tout ?  La digitalisation t’oblige à faire appel à des prestataires extérieurs. Vu que tu es en fin de chaîne, tu es à la merci des manquements de tout l’amont ! Enfin, les contraintes de la convention collective des métiers de l’automobile t’empêchent de faire appel à des ressources internes dans les concessions, même avec des montées en compétences.

La vente en ligne type Carvana serait-elle tout sauf un long fleuve tranquille ? Selon les résultats publiés par le groupe Parot pour 2018, la première année pleine d’exploitation de Zanzicar a certes dégagé un chiffre d’affaires de 8,4 millions d’euros mais pour une perte d’exploitation de 3,2 millions €, « les gains ne couvrant pas encore les investissements marketing », analyse Xavier Champagne sur le site Autoactu.com.

Le miracle Amazon, un exemple à suivre ?

J’ai toujours été bluffé par l’insoupçonnable succès de la société créée par Jeff Bezos. Mais peut-on acheter des VO comme on achète des livres ou des jouets ? On en vient au concept de marketplace. Et pour m’expliquer ce que c’est, rien de tel que l’un des concurrents désignés d’Amazon, français de surcroît : Mirakl. Son CEO et cofondateur, Philippe Corot, définit une marketplace par un espace virtuel sur lequel un opérateur va mettre en relation un acheteur et un vendeur, pour un service (Uber, Airbnb) comme pour un produit (Amazon en B2C, Ali Baba en B2B). Et Mirakl est justement un éditeur qui fournit la plateforme logicielle pour développer sa propre marketplace, quelle que soit mon activité et mon type de marché.  Partant de là, on comprend pourquoi Mirakl a déjà séduit le groupe ACCOR en B2B et quelques retailers en devenir (#joke), Walmart aux USA, Best Buy au Canada, Carrefour…

« Exister en ligne n’a d’intérêt qu’avec une offre riche »

De quoi ai-je besoin pour créer ma marketplace ? De se poser la question de savoir où un acteur industriel se situe dans la chaîne de valeur et comment il veut réorganiser cette chaîne de valeur, centrée sur lui, explique Philippe Corot. Dans l’automobile ? Un constructeur pourrait créer une plateforme sur laquelle les concessionnaires achèteraient toutes les pièces détachées des fournisseurs, en prenant au passage une commission sur les ventes, poursuit le patron de Mirakl. « Exister en ligne n’a d’intérêt que si vous proposez une offre riche, richesse que vous pouvez obtenir en agrégeant les offres de vos partenaires, d’autant plus que vous pouvez tout régionaliser, l’offre et sa source. »

Imaginons qu’un « vendeur de VO en ligne » crée sa marketplace avec Mirakl. En y associant les stocks d’autres vendeurs, il augmente singulièrement son offre et peut prendre une commission sur les ventes réalisées, les autres vendeurs ayant sorti de leurs stocks le VO vendu…

Mais cela ne risque-t-il pas de créer une situation hégémonique, comme avec Amazon ? Tant mieux pour le premier qui prendra la main, selon Philippe Corot. Aux autres, il reviendra de créer leurs propres plateformes, pour « se battre avec les mêmes armes ». « Je pense que dans le B2B automobile, il y a beaucoup de choses à faire sur les pièces détachées, d’ailleurs, Mirakl est utilisé par le groupe Aniel pour sa marketplace de pièces de carrosserie », ajoute P. Corot.

Quant à la vente de VO 100 % digitale, à Thibaud Carissimo la conclusion : « Au mieux, ce marché est en phase d’évangélisation, au pire, il est complètement immature et prendra quelques années pour devenir rentable. »

Ali Hammami

(1): https://www.tns-sofres.com/publications/les-francais-et-lautomobile-mai-2014

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